- Fred
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Date d'inscription : 19/09/2018
Paysages résilients. Approche systémique du territoire post-effondrement.
C'est un Mémoire de fin d’études "Master d’architecte paysagiste en dépôt" MatheO, merci de respecter le droit d'auteur de Pierre Lacroix.
Pour ceux qui veulent tout de suite découvrir les recommandations issues de ce travail allez page 89.
https://matheo.uliege.be/bitstream/2268.2/3104/3/Pierre%20Lacroix%20PAYSAGES%20RESILIENTS%202017.pdf
Mémoire de fin d’études présenté en août 2017, ce travail partiellement réalisé en bande dessinée propose une visite guidée dans un futur post-effondrement, afin de lancer des pistes de réflexion autour des dynamiques de résilience territoriale.
Résumé
Aujourd’hui, l’accélération des crises environnementales, sociales et économiques permet de dégager une certitude : notre avenir n’est pas linéaire. Une hypothèse désormais réaliste est celle d’un effondrement systémique global dans les prochaines années. Sur base de cette hypothèse, par une approche globale et interdisciplinaire, ce travail tente de modéliser un scénario de résiliences territoriales. Et de répondre à la question, tellement importante : « à quoi pourraient ressembler nos paysages, après l’effondrement du système industriel ?
Aujourd’hui, l’accélération des crises environnementales, sociales et économiques permet de dégager une certitude : notre avenir n’est pas linéaire.
Une hypothèse désormais réaliste est celle d’un effondrement systémique global dans les prochaines années. Sur base de cette hypothèse, par une approche globale et interdisciplinaire, ce document tente de modéliser un scénario de résiliences territoriales. Et de répondre à la question, tellement importante : « à quoi pourraient ressembler nos paysages, après l’effondrement du système industriel ? »
Mots-clés : collapsologie, effondrement, Anthropocène, Transition, descente énergétique, décroissance, changement climatique, résilience, approche systémique, bande dessinée.
Le fil conducteur du travail est le suivant :
• Chapitre 2. Construction et défense de l’hypothèse d’un certain type d’effondrement
• Chapitre 3. Éléments de réponse à un effondrement par la résilience
• Chapitre 4. Construction d’un scénario prospectif, une modélisation visuelle en bande dessinée basée sur l’hypothèse de départ
• Chapitre 5. Approche complémentaire par thématiques
• Chapitre 6. Approche complémentaire par synthèse
• Chapitre 7. Conclusion
S’il existe déjà d’innombrables travaux scientifiques et éléments de réponses concrètes à nos crises (théories d’urbanisme, maison passive, économie circulaire, agroécologie, etc.), ces travaux sont toutefois rarement raccordés entre eux, et souvent limités à une discipline et à un public précis (ingénieur, architecte, urbaniste, agronome). L’objectif de ce travail est d’imaginer une approche globale et systémique construite de ces solutions, sans entrer dans des considérations trop techniques. Ce type d’approche, souvent négligé dans les travaux scientifiques, est pourtant indispensable pour conserver la cohérence d’un système
Il s’agit aussi de mettre en images un paradigme souvent approché mais rarement décrit, à l’heure où nous avons plus que jamais besoin de rêver de nouvelles utopies. Imaginer un scénario prospectif est bien sûr un défi de taille, qui fait appel à une immense quantité de questions : comment s’y comportent les valeurs économie, écologie, démographie, société... ? Un système est bien sûr tout cela à la fois. C’est un puzzle global qui doit faire tenir ensemble quantité de pièces très différentes. Le paysage, par définition pluridisciplinaire, est peut-être une approche intéressante pour aborder un nouveau système. Toutefois, il est certain que ce document amènera beaucoup plus de questions que de réponses. Il est bien sûr illusoire de penser pouvoir dessiner un système global qui s’applique à l’ensemble des territoires, tant la disparité de ceux-ci est grande. Autant l’hypothèse d’un effondrement global se basera sur l’identification de problématiques mondiales, autant, pour l’élaboration d’hypothèses, nous nous baserons
sur les conditions de l’Europe de l’Ouest. Ce qui reste, bien sûr, un territoire vaste et irrégulier, mais assez homogène pour parler de réseaux et de paysages à l’échelle de la biorégion. Le scénario prospectif décrit sera celui d’une vision à moyen/long terme, à l’horizon 2050-2100, alors qu’une résilience globale permet de commencer à récupérer d’une période d’effondrement finissante. Le paysage dont on parle est une transcription mentale et culturelle des communautés, du territoire, et de la relation étroite qui les lie dans une période de changements.
LE CONCEPT DE RÉSILIENCE
Le concept de résilience connaît un récent essor dans les publications scientifiques, et dans différents domaines, tels que la psychologie. En écologie, la résilience désigne « la capacité d’un système à absorber un changement perturbant et à se réorganiser en intégrant ce changement, tout en conservant la même fonction, la même structure, la même dentité et les mêmes capacités de réaction. »
1 Pour un système humain tel qu’une ville, on pourrait préciser : « l’aptitude d’un système à poursuivre son existence, à maintenir sa structure tout en intégrant des transformations, voire à susciter les mutations qui lui permettront de continuer à exister »
2 Le concept de résilience ne prend sens que lorsqu’on le met en relation avec un risque donné (résilient par rapport à quoi ?). Ici, on considèrera principalement
une résilience systémique générale par rapport aux conditions citées au chapitre précédent (pic pétrolier, limites planétaires, etc.) Dans le cas d’une communauté humaine, il s’agit de leur habilité à trouver des moyens de se remettre d’une crise, notamment énergétique ou alimentaire, en adaptant leur fonctionnement interne et leur gestion du territoire. On parle de résilience communautaire (dans le sens anglo-saxon du terme : « sociale »), locale ou territoriale. Les facteurs de bonne résilience d’une
communauté sont les suivants :
1 La capacité d’une communauté à prendre ou modifier des décisions qui la concernent. La démocratie et l’engagement local y sont primordiaux.
2 La capacité d’une communauté à apprendre et à s’adapter, notamment grâce à une éducation diversifiée.
3. La nécessité pour des communautés résilientes de planifier leur design de manière intentionnelle et collective
Par ailleurs, « La résilience est un attribut inhérent et dynamique d’une communauté. Il est possible d’en suivre l’évolution (amélioration ou dégradation) ou
de l’évaluer dans l’absolu.
• L’adaptabilité est au cœur de la résilience.
• L’adaptation peut intervenir en réponse ou en prévision d’une perturbation.
• L’adaptation doit conduire à une amélioration de la communauté (trajectoire positive) par rapport à la situation d’adversité.
• La résilience d’une communauté devrait être définie de telle manière qu’il soit possible d’estimer sa capacité à se remettre après une période d’adversité. Cela permettrait aux communautés d’évaluer leur propre résilience et d’envisager des actions pour l’améliorer si nécessaire. »
Un système humain, à l’image d’un système biologique, gagne en résilience grâce à plusieurs caractéristiques :
1. La diversité de ses fonctions, des ressources, des stratégies développées, grâce à laquelle une perturbation n’affectera pas toutes les fonctions du système ;
2. La modularité de ses fonctions, ou la nature de leur [24] interrelation, grâce à laquelle un modèle s’auto-organise pour protéger les fonctions non-perturbées en les isolant des fonctions perturbées ;
3. Les rétroactions directes du système, soit la visibilité d’une perturbation et sa prise en compte par le système. Dans notre système globalisé et centralisé, les boucles de rétroaction s’allongent, donc les perturbations sont moins souvent détectées à temps. Par exemple, l’export de nos déchets ou le rejet de gaz à effet de serre ont des effets indirects qui ne se font sentir ni immédiatement ni localement
« Un homme est riche des choses dont il sait se passer.» .Henry David Thoreau, philosophe
LES INITIATIVES DE TRANSITION, UNE SOLUTION CHOISIE ?
Les Initiatives de Transition sont un mouvement, lancé en 2006 par Rob Hopkins, qui fait de la résilience locale son fer de lance.Tout part de la mise en relation de deux problématiques,
celle du changement climatique et celle de la dépendance au pétrole. Hopkins souligne que notre société se trouve dans un état de dépendance totale envers cette ressource. Or, le pétrole et ses dérivés viennent à manquer car les réserves mondiales atteignent leur pic. Après un examen rapide, il s’avère qu’aucune autre combinaison d’énergies alternatives ne pourra nous assurer une production qui répondra à la demande mondiale (sans parler de leurs coûts environnementaux). Les prix vont donc grimper énormément, ne permettant plus à nos sociétés de conserver leur mode de vie actuel. De là, les scénarios possibles vont bon train, d’une descente énergétique forcée à l’effondrement global. Rob Hopkins propose de voir le pic pétrolier non pas comme la fin d’un âge d’or mais comme une opportunité de limiter le changement climatique et comme un moyen unique pour les populations de retrouver leur résilience locale. Cela passe par une décentralisation des systèmes économiques dépendants du pétrole au
profit de circuits courts, d’une frugalité choisie, d’une organisation du territoire en fonction des ressources locales, pour atteindre des sociétés non pas autarciques ou isolationnistes, mais bien capables de subvenir seules à leurs besoins vitaux. Les notions de décroissance et de permaculture y sont sous-jacentes.
A la différence de beaucoup de mouvements d’écologie radicale qui cherchent à impulser un changement à l’échelle gouvernementale ou individuelle par un discours alarmiste, Hopkins s’adresse plutôt à des communautés humaines en leur proposant une idée séduisante de ce que serait ce monde résilient. Là où la vision à court-terme d’un politicien rend complexe une intervention top-down (un politicien annonçant des mesures pour prévenir un effondrement provoquerait d’ailleurs des mouvements de panique précipitant celui-ci), un mouvement bottom-up plébiscité par le peuple pourrait engranger en réaction des nécessaires politiques nationales et internationales. Les bénéfices de cette métamorphose seraient par extension sociaux et environnementaux.
En théorie, un territoire en transition présente les caractéristiques suivantes :
Alimentation et agriculture
• Disparition des intrants de synthèse et diminution de la mécanisation
• Circuits courts et cycliques
• Grande diversité des cultures, développement des synergies
Finalement, c’est un renversement d’un système agroindustriel intensif à faible rendement et haute rentabilité, à un système agroécologique intensif à haut rendement et faible rentabilité. Pour caricaturer, il s’agit de remplacer quelques fermiers et beaucoup d’essence par beaucoup de nouveaux agriculteurs armés de pratiques de permaculture et de traction animale.
Économie et métiers
• La descente énergétique suppose ce que Hopkins nomme la « Grande Requalification », soit revenir à des savoirs sociétaux pluriels et élémentaires tels que le travail manuel, l’agriculture... là où nous sommes aujourd’hui hyperspécialisés, donc dépendants et fragiles.
• Selon cette logique, en termes d’emplois, le secteur primaire redeviendrait dominant. D’autre part, le secteur secondaire reprendrait aussi une importance capitale, étant donné que les produits manufacturés, aujourd’hui importés en masse, ne pourraient plus être acheminés avec autant de facilité. Le secteur tertiaire serait quant à
lui bien moins important qu’il ne l’est aujourd’hui.
• La décentralisation de l’emploi verrait naître de nombreux Systèmes d’Échange Locaux, soit des monnaies complémentaires autour d’une région. Le commerce à grande échelle subsisterait pour augmenter la qualité de vie, mais dans une moindre mesure et grâce à des moyens de transport peu gourmands en énergie (bateaux à voile, transport ferroviaire, traction animale).
Le mouvement des Initiatives de Transition, lancé vers 2009, ne cesse de s’étendre depuis : on compte aujourd’hui quelques dizaines d’Initiatives lancées, surtout dans le monde anglophone. Le mouvement croît plus vite chaque année, et de très nombreuses autres initiatives vont dans ce sens avec des idées similaires.Avec du recul, les Initiatives de Transition constituent un très bon moyen d’action qui intègre une réflexion psychologique pour initier un changement de la part des populations, et l’objectif visé (zéro pétrole, résilience des populations) est plus ambitieux et abouti que celui de développement durable (un terme aujourd’hui dénué de sens, voire subversif).
Le défi d’une Transition globale et systémique peut sembler colossal. En termes d’énergie, un plein d’essence équivaut à quatre années de travail humain. La consommation d’énergie d’un occidental équivaut à celle que produiraient 100 personnes pédalant frénétiquement pour actionner des turbines (ce qu’on appelle généralement les « esclaves énergétiques »). Se passer d’un tel niveau de vie est devenu un véritable abîme psychologique et systémique.
D’autre part, la partie est loin d’être gagnée. Ce modèle, dans ses applications pratiques, n’en est qu’à ses balbutiements, dans les conditions favorables de petites villes préparant leur transition au sein d’un monde où le pétrole existe encore. En dehors de ce cadre, la Transition se propage lentement. Cette transition se veut choisie, mais dans les faits il est plus probable qu’elle soit principalement induite par l’accélération des crises et des dynamiques d’effondrement. Une « bouée de sauvetage » ou un « phare » qui pourrait préparer quelques communautés à une meilleure résilience, mais sans doute pas éviter l’effondrement d’un système global qui, lui, n’est pas préparé.
Dans les faits, des crises importantes, voire un effondrement, sont généralement plus à même de développer une résilience locale et spontanée, par la force de la nécessité. Il peut être pertinent d’aborder quelques exemples.
LA RÉSILIENCE IMPOSÉE
En période de crise, un gouvernement éclairé est capable de prendre des mesures drastiques et efficaces pour améliorer la résilience nationale. En atteste l’exemple de l’Angleterre dans les années 39-45. En réaction à la guerre mondiale et aux futures coupures d’approvisionnement, le gouvernement a mis en place une série de mesures préventives pour augmenter les surfaces cultivées et optimiser la production. Celle-ci augmenta de 91%, notamment grâce à des formations en maraîchage dispensées à un grand nombre de citoyens. Les jardins, mais aussi les parcs publics, universités, furent investis par les familles, les ouvriers pendant leur temps libres, et surtout les femmes, pour faire pousser des légumes. Cette production, en 1942, représentait 10% de la consommation alimentaire du pays, le reste étant assuré par les agriculteurs et ce qu’il restait d’importation. Les denrées alimentaires furent rationnées, menant à une diminution de la consommation de viande. Ce rationnement équitable mena à une diminution du gaspillage et de la consommation des plus nantis, tandis que les plus pauvres furent favorisés. La santé nationale n’avait jamais été aussi bonne.
Le gouvernement a mit aussi en place des mesures pour augmenter les stocks de matières premières, et promouvoir la frugalité. Le pétrole aussi fut rationné petit à petit, menant à une diminution de 95% de l’utilisation de la voiture individuelle
6. Aux États-Unis d’Amérique et en Europe, d’immenses campagnes gouvernementales similaires firent la promotion du maraîchage chez les particuliers pendant
les grandes périodes de récession du XXe siècle (« War Gardens » pendant la Première Guerre mondiale ; « Victory Gardens » pendant la seconde ; « Subsistance Gardens » pendant les années 30). Des millions de jardins se développèrent spontanément pour aider à l’effort de guerre ou améliorer la sécurité alimentaire des villes.
Pour peu qu’un gouvernement se maintienne et prévoie une situation de crise, il peut très bien favoriser des politiques d’amélioration de la résilience nationale.
SCÉNARIO D’UN PAYSAGE RÉSILIENT
L’objectif du chapitre est de modéliser un scénario de système entier (du moins ses grandes lignes), basé sur une série d’hypothèses (celles du chapitre 2.4) et d’intégrer la notion de résilience dans des représentations de paysages.
L’objectif du chapitre est de modéliser un scénario de système entier (du moins ses grandes lignes), basé sur une série d’hypothèses (celles du chapitre 2.4) et d’intégrer la notion de résilience dans des représentations de paysages.
Ce chapitre se veut aussi être un outil de communication des notions de résilience et d’effondrement avec plusieurs types de publics :
• Pour le grand public, il est urgent de préparer les consciences à la perspective d’un effondrement : le processus psychologique du deuil d’un système peut représenter une période longue et contre-productive pour un individu. Or, la construction d’un imaginaire post-effondrement viable, voire souhaitable, constitue un élément important pour la
résilience psychologique d’une personne.
• Pour les élus et politiques, qui ont besoin d’études et de modèles, il s’agit de présenter un scénario non pas linéaire et précisément chiffré comme à l’accoutumée, mais un modèle systémique, complexe et discontinu. En effet, il est urgent d’intégrer la notion de résilience dans la prise de décisions, et de préparer une transition globale qui intègre la possibilité de chocs et de ruptures.
• Pour les experts et professionnels, cette vision systémique tente de décloisonner les approches ponctuelles d’une problématique précise pour favoriser la complémentarité des solutions à mettre en œuvre.
POURQUOI EN BANDE DESSINÉE ?
La bande dessinée n’est pas seulement le neuvième art, elle est aussi devenue un média innovant sans cesse en styles (notamment la BD documentaire) et en supports (web BD, etc). Cette liberté de forme, couplée à une mise en œuvre relativement simple et peu coûteuse, en fait un support efficace de communication visuelle et narrative. Son application au monde universitaire est pourtant récente. Dans le cadre de ce travail, la BD se justifie de plusieurs manières :
• C’est un média idéal pour reproduire une vision systémique : en situant une histoire scénarisée en immersion dans un univers fictif mais cohérent, l’ensemble des informations de premier ou de second plan contribue à une compréhension intuitive rapide et globale du système.
• La trame narrative permet de relier des vues simples (plus d’une centaine de cases comportant des paysages composés) en un ensemble cohérent : la narration en séquences permet de se déplacer dans l’espace et dans le temps, en faisant agir des facteurs dynamiques sur un milieu. Dans le cas de l’aménagement du territoire, cela permet en plus de regrouper et de faire interagir des solutions concrètes souvent présentées isolément.
• La BD peut être un puissant outil de vulgarisation, la compréhension d’un concept étant facilitée par son association systématique à une image. De ce fait, une BD est un document accessible à un large public, et permet de développer facilement un imaginaire.
• La BD permet des modes de représentation très compatibles avec le projet de paysage : la traduction graphique d’un projet d’aménagement du territoire peut parfaitement s’intégrer dans une BD scénarisée.
Ci-dessous quelques exemple des planches :
Plus d'info sur la méthodologie, l'intégralité des planches etc,... : https://matheo.uliege.be/bitstream/2268.2/3104/3/Pierre%20Lacroix%20PAYSAGES%20RESILIENTS%202017.pdf
C'est un Mémoire de fin d’études "Master d’architecte paysagiste en dépôt" MatheO, merci de respecter le droit d'auteur de Pierre Lacroix.
Pour ceux qui veulent tout de suite découvrir les recommandations issues de ce travail allez page 89.
https://matheo.uliege.be/bitstream/2268.2/3104/3/Pierre%20Lacroix%20PAYSAGES%20RESILIENTS%202017.pdf
Mémoire de fin d’études présenté en août 2017, ce travail partiellement réalisé en bande dessinée propose une visite guidée dans un futur post-effondrement, afin de lancer des pistes de réflexion autour des dynamiques de résilience territoriale.
Résumé
Aujourd’hui, l’accélération des crises environnementales, sociales et économiques permet de dégager une certitude : notre avenir n’est pas linéaire. Une hypothèse désormais réaliste est celle d’un effondrement systémique global dans les prochaines années. Sur base de cette hypothèse, par une approche globale et interdisciplinaire, ce travail tente de modéliser un scénario de résiliences territoriales. Et de répondre à la question, tellement importante : « à quoi pourraient ressembler nos paysages, après l’effondrement du système industriel ?
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Aujourd’hui, l’accélération des crises environnementales, sociales et économiques permet de dégager une certitude : notre avenir n’est pas linéaire.
Une hypothèse désormais réaliste est celle d’un effondrement systémique global dans les prochaines années. Sur base de cette hypothèse, par une approche globale et interdisciplinaire, ce document tente de modéliser un scénario de résiliences territoriales. Et de répondre à la question, tellement importante : « à quoi pourraient ressembler nos paysages, après l’effondrement du système industriel ? »
Mots-clés : collapsologie, effondrement, Anthropocène, Transition, descente énergétique, décroissance, changement climatique, résilience, approche systémique, bande dessinée.
Le fil conducteur du travail est le suivant :
• Chapitre 2. Construction et défense de l’hypothèse d’un certain type d’effondrement
• Chapitre 3. Éléments de réponse à un effondrement par la résilience
• Chapitre 4. Construction d’un scénario prospectif, une modélisation visuelle en bande dessinée basée sur l’hypothèse de départ
• Chapitre 5. Approche complémentaire par thématiques
• Chapitre 6. Approche complémentaire par synthèse
• Chapitre 7. Conclusion
S’il existe déjà d’innombrables travaux scientifiques et éléments de réponses concrètes à nos crises (théories d’urbanisme, maison passive, économie circulaire, agroécologie, etc.), ces travaux sont toutefois rarement raccordés entre eux, et souvent limités à une discipline et à un public précis (ingénieur, architecte, urbaniste, agronome). L’objectif de ce travail est d’imaginer une approche globale et systémique construite de ces solutions, sans entrer dans des considérations trop techniques. Ce type d’approche, souvent négligé dans les travaux scientifiques, est pourtant indispensable pour conserver la cohérence d’un système
Il s’agit aussi de mettre en images un paradigme souvent approché mais rarement décrit, à l’heure où nous avons plus que jamais besoin de rêver de nouvelles utopies. Imaginer un scénario prospectif est bien sûr un défi de taille, qui fait appel à une immense quantité de questions : comment s’y comportent les valeurs économie, écologie, démographie, société... ? Un système est bien sûr tout cela à la fois. C’est un puzzle global qui doit faire tenir ensemble quantité de pièces très différentes. Le paysage, par définition pluridisciplinaire, est peut-être une approche intéressante pour aborder un nouveau système. Toutefois, il est certain que ce document amènera beaucoup plus de questions que de réponses. Il est bien sûr illusoire de penser pouvoir dessiner un système global qui s’applique à l’ensemble des territoires, tant la disparité de ceux-ci est grande. Autant l’hypothèse d’un effondrement global se basera sur l’identification de problématiques mondiales, autant, pour l’élaboration d’hypothèses, nous nous baserons
sur les conditions de l’Europe de l’Ouest. Ce qui reste, bien sûr, un territoire vaste et irrégulier, mais assez homogène pour parler de réseaux et de paysages à l’échelle de la biorégion. Le scénario prospectif décrit sera celui d’une vision à moyen/long terme, à l’horizon 2050-2100, alors qu’une résilience globale permet de commencer à récupérer d’une période d’effondrement finissante. Le paysage dont on parle est une transcription mentale et culturelle des communautés, du territoire, et de la relation étroite qui les lie dans une période de changements.
LE CONCEPT DE RÉSILIENCE
Le concept de résilience connaît un récent essor dans les publications scientifiques, et dans différents domaines, tels que la psychologie. En écologie, la résilience désigne « la capacité d’un système à absorber un changement perturbant et à se réorganiser en intégrant ce changement, tout en conservant la même fonction, la même structure, la même dentité et les mêmes capacités de réaction. »
1 Pour un système humain tel qu’une ville, on pourrait préciser : « l’aptitude d’un système à poursuivre son existence, à maintenir sa structure tout en intégrant des transformations, voire à susciter les mutations qui lui permettront de continuer à exister »
2 Le concept de résilience ne prend sens que lorsqu’on le met en relation avec un risque donné (résilient par rapport à quoi ?). Ici, on considèrera principalement
une résilience systémique générale par rapport aux conditions citées au chapitre précédent (pic pétrolier, limites planétaires, etc.) Dans le cas d’une communauté humaine, il s’agit de leur habilité à trouver des moyens de se remettre d’une crise, notamment énergétique ou alimentaire, en adaptant leur fonctionnement interne et leur gestion du territoire. On parle de résilience communautaire (dans le sens anglo-saxon du terme : « sociale »), locale ou territoriale. Les facteurs de bonne résilience d’une
communauté sont les suivants :
1 La capacité d’une communauté à prendre ou modifier des décisions qui la concernent. La démocratie et l’engagement local y sont primordiaux.
2 La capacité d’une communauté à apprendre et à s’adapter, notamment grâce à une éducation diversifiée.
3. La nécessité pour des communautés résilientes de planifier leur design de manière intentionnelle et collective
Par ailleurs, « La résilience est un attribut inhérent et dynamique d’une communauté. Il est possible d’en suivre l’évolution (amélioration ou dégradation) ou
de l’évaluer dans l’absolu.
• L’adaptabilité est au cœur de la résilience.
• L’adaptation peut intervenir en réponse ou en prévision d’une perturbation.
• L’adaptation doit conduire à une amélioration de la communauté (trajectoire positive) par rapport à la situation d’adversité.
• La résilience d’une communauté devrait être définie de telle manière qu’il soit possible d’estimer sa capacité à se remettre après une période d’adversité. Cela permettrait aux communautés d’évaluer leur propre résilience et d’envisager des actions pour l’améliorer si nécessaire. »
Un système humain, à l’image d’un système biologique, gagne en résilience grâce à plusieurs caractéristiques :
1. La diversité de ses fonctions, des ressources, des stratégies développées, grâce à laquelle une perturbation n’affectera pas toutes les fonctions du système ;
2. La modularité de ses fonctions, ou la nature de leur [24] interrelation, grâce à laquelle un modèle s’auto-organise pour protéger les fonctions non-perturbées en les isolant des fonctions perturbées ;
3. Les rétroactions directes du système, soit la visibilité d’une perturbation et sa prise en compte par le système. Dans notre système globalisé et centralisé, les boucles de rétroaction s’allongent, donc les perturbations sont moins souvent détectées à temps. Par exemple, l’export de nos déchets ou le rejet de gaz à effet de serre ont des effets indirects qui ne se font sentir ni immédiatement ni localement
« Un homme est riche des choses dont il sait se passer.» .Henry David Thoreau, philosophe
LES INITIATIVES DE TRANSITION, UNE SOLUTION CHOISIE ?
Les Initiatives de Transition sont un mouvement, lancé en 2006 par Rob Hopkins, qui fait de la résilience locale son fer de lance.Tout part de la mise en relation de deux problématiques,
celle du changement climatique et celle de la dépendance au pétrole. Hopkins souligne que notre société se trouve dans un état de dépendance totale envers cette ressource. Or, le pétrole et ses dérivés viennent à manquer car les réserves mondiales atteignent leur pic. Après un examen rapide, il s’avère qu’aucune autre combinaison d’énergies alternatives ne pourra nous assurer une production qui répondra à la demande mondiale (sans parler de leurs coûts environnementaux). Les prix vont donc grimper énormément, ne permettant plus à nos sociétés de conserver leur mode de vie actuel. De là, les scénarios possibles vont bon train, d’une descente énergétique forcée à l’effondrement global. Rob Hopkins propose de voir le pic pétrolier non pas comme la fin d’un âge d’or mais comme une opportunité de limiter le changement climatique et comme un moyen unique pour les populations de retrouver leur résilience locale. Cela passe par une décentralisation des systèmes économiques dépendants du pétrole au
profit de circuits courts, d’une frugalité choisie, d’une organisation du territoire en fonction des ressources locales, pour atteindre des sociétés non pas autarciques ou isolationnistes, mais bien capables de subvenir seules à leurs besoins vitaux. Les notions de décroissance et de permaculture y sont sous-jacentes.
A la différence de beaucoup de mouvements d’écologie radicale qui cherchent à impulser un changement à l’échelle gouvernementale ou individuelle par un discours alarmiste, Hopkins s’adresse plutôt à des communautés humaines en leur proposant une idée séduisante de ce que serait ce monde résilient. Là où la vision à court-terme d’un politicien rend complexe une intervention top-down (un politicien annonçant des mesures pour prévenir un effondrement provoquerait d’ailleurs des mouvements de panique précipitant celui-ci), un mouvement bottom-up plébiscité par le peuple pourrait engranger en réaction des nécessaires politiques nationales et internationales. Les bénéfices de cette métamorphose seraient par extension sociaux et environnementaux.
En théorie, un territoire en transition présente les caractéristiques suivantes :
Alimentation et agriculture
• Disparition des intrants de synthèse et diminution de la mécanisation
• Circuits courts et cycliques
• Grande diversité des cultures, développement des synergies
Finalement, c’est un renversement d’un système agroindustriel intensif à faible rendement et haute rentabilité, à un système agroécologique intensif à haut rendement et faible rentabilité. Pour caricaturer, il s’agit de remplacer quelques fermiers et beaucoup d’essence par beaucoup de nouveaux agriculteurs armés de pratiques de permaculture et de traction animale.
Économie et métiers
• La descente énergétique suppose ce que Hopkins nomme la « Grande Requalification », soit revenir à des savoirs sociétaux pluriels et élémentaires tels que le travail manuel, l’agriculture... là où nous sommes aujourd’hui hyperspécialisés, donc dépendants et fragiles.
• Selon cette logique, en termes d’emplois, le secteur primaire redeviendrait dominant. D’autre part, le secteur secondaire reprendrait aussi une importance capitale, étant donné que les produits manufacturés, aujourd’hui importés en masse, ne pourraient plus être acheminés avec autant de facilité. Le secteur tertiaire serait quant à
lui bien moins important qu’il ne l’est aujourd’hui.
• La décentralisation de l’emploi verrait naître de nombreux Systèmes d’Échange Locaux, soit des monnaies complémentaires autour d’une région. Le commerce à grande échelle subsisterait pour augmenter la qualité de vie, mais dans une moindre mesure et grâce à des moyens de transport peu gourmands en énergie (bateaux à voile, transport ferroviaire, traction animale).
Le mouvement des Initiatives de Transition, lancé vers 2009, ne cesse de s’étendre depuis : on compte aujourd’hui quelques dizaines d’Initiatives lancées, surtout dans le monde anglophone. Le mouvement croît plus vite chaque année, et de très nombreuses autres initiatives vont dans ce sens avec des idées similaires.Avec du recul, les Initiatives de Transition constituent un très bon moyen d’action qui intègre une réflexion psychologique pour initier un changement de la part des populations, et l’objectif visé (zéro pétrole, résilience des populations) est plus ambitieux et abouti que celui de développement durable (un terme aujourd’hui dénué de sens, voire subversif).
Le défi d’une Transition globale et systémique peut sembler colossal. En termes d’énergie, un plein d’essence équivaut à quatre années de travail humain. La consommation d’énergie d’un occidental équivaut à celle que produiraient 100 personnes pédalant frénétiquement pour actionner des turbines (ce qu’on appelle généralement les « esclaves énergétiques »). Se passer d’un tel niveau de vie est devenu un véritable abîme psychologique et systémique.
D’autre part, la partie est loin d’être gagnée. Ce modèle, dans ses applications pratiques, n’en est qu’à ses balbutiements, dans les conditions favorables de petites villes préparant leur transition au sein d’un monde où le pétrole existe encore. En dehors de ce cadre, la Transition se propage lentement. Cette transition se veut choisie, mais dans les faits il est plus probable qu’elle soit principalement induite par l’accélération des crises et des dynamiques d’effondrement. Une « bouée de sauvetage » ou un « phare » qui pourrait préparer quelques communautés à une meilleure résilience, mais sans doute pas éviter l’effondrement d’un système global qui, lui, n’est pas préparé.
Dans les faits, des crises importantes, voire un effondrement, sont généralement plus à même de développer une résilience locale et spontanée, par la force de la nécessité. Il peut être pertinent d’aborder quelques exemples.
LA RÉSILIENCE IMPOSÉE
En période de crise, un gouvernement éclairé est capable de prendre des mesures drastiques et efficaces pour améliorer la résilience nationale. En atteste l’exemple de l’Angleterre dans les années 39-45. En réaction à la guerre mondiale et aux futures coupures d’approvisionnement, le gouvernement a mis en place une série de mesures préventives pour augmenter les surfaces cultivées et optimiser la production. Celle-ci augmenta de 91%, notamment grâce à des formations en maraîchage dispensées à un grand nombre de citoyens. Les jardins, mais aussi les parcs publics, universités, furent investis par les familles, les ouvriers pendant leur temps libres, et surtout les femmes, pour faire pousser des légumes. Cette production, en 1942, représentait 10% de la consommation alimentaire du pays, le reste étant assuré par les agriculteurs et ce qu’il restait d’importation. Les denrées alimentaires furent rationnées, menant à une diminution de la consommation de viande. Ce rationnement équitable mena à une diminution du gaspillage et de la consommation des plus nantis, tandis que les plus pauvres furent favorisés. La santé nationale n’avait jamais été aussi bonne.
Le gouvernement a mit aussi en place des mesures pour augmenter les stocks de matières premières, et promouvoir la frugalité. Le pétrole aussi fut rationné petit à petit, menant à une diminution de 95% de l’utilisation de la voiture individuelle
6. Aux États-Unis d’Amérique et en Europe, d’immenses campagnes gouvernementales similaires firent la promotion du maraîchage chez les particuliers pendant
les grandes périodes de récession du XXe siècle (« War Gardens » pendant la Première Guerre mondiale ; « Victory Gardens » pendant la seconde ; « Subsistance Gardens » pendant les années 30). Des millions de jardins se développèrent spontanément pour aider à l’effort de guerre ou améliorer la sécurité alimentaire des villes.
Pour peu qu’un gouvernement se maintienne et prévoie une situation de crise, il peut très bien favoriser des politiques d’amélioration de la résilience nationale.
SCÉNARIO D’UN PAYSAGE RÉSILIENT
L’objectif du chapitre est de modéliser un scénario de système entier (du moins ses grandes lignes), basé sur une série d’hypothèses (celles du chapitre 2.4) et d’intégrer la notion de résilience dans des représentations de paysages.
L’objectif du chapitre est de modéliser un scénario de système entier (du moins ses grandes lignes), basé sur une série d’hypothèses (celles du chapitre 2.4) et d’intégrer la notion de résilience dans des représentations de paysages.
Ce chapitre se veut aussi être un outil de communication des notions de résilience et d’effondrement avec plusieurs types de publics :
• Pour le grand public, il est urgent de préparer les consciences à la perspective d’un effondrement : le processus psychologique du deuil d’un système peut représenter une période longue et contre-productive pour un individu. Or, la construction d’un imaginaire post-effondrement viable, voire souhaitable, constitue un élément important pour la
résilience psychologique d’une personne.
• Pour les élus et politiques, qui ont besoin d’études et de modèles, il s’agit de présenter un scénario non pas linéaire et précisément chiffré comme à l’accoutumée, mais un modèle systémique, complexe et discontinu. En effet, il est urgent d’intégrer la notion de résilience dans la prise de décisions, et de préparer une transition globale qui intègre la possibilité de chocs et de ruptures.
• Pour les experts et professionnels, cette vision systémique tente de décloisonner les approches ponctuelles d’une problématique précise pour favoriser la complémentarité des solutions à mettre en œuvre.
POURQUOI EN BANDE DESSINÉE ?
La bande dessinée n’est pas seulement le neuvième art, elle est aussi devenue un média innovant sans cesse en styles (notamment la BD documentaire) et en supports (web BD, etc). Cette liberté de forme, couplée à une mise en œuvre relativement simple et peu coûteuse, en fait un support efficace de communication visuelle et narrative. Son application au monde universitaire est pourtant récente. Dans le cadre de ce travail, la BD se justifie de plusieurs manières :
• C’est un média idéal pour reproduire une vision systémique : en situant une histoire scénarisée en immersion dans un univers fictif mais cohérent, l’ensemble des informations de premier ou de second plan contribue à une compréhension intuitive rapide et globale du système.
• La trame narrative permet de relier des vues simples (plus d’une centaine de cases comportant des paysages composés) en un ensemble cohérent : la narration en séquences permet de se déplacer dans l’espace et dans le temps, en faisant agir des facteurs dynamiques sur un milieu. Dans le cas de l’aménagement du territoire, cela permet en plus de regrouper et de faire interagir des solutions concrètes souvent présentées isolément.
• La BD peut être un puissant outil de vulgarisation, la compréhension d’un concept étant facilitée par son association systématique à une image. De ce fait, une BD est un document accessible à un large public, et permet de développer facilement un imaginaire.
• La BD permet des modes de représentation très compatibles avec le projet de paysage : la traduction graphique d’un projet d’aménagement du territoire peut parfaitement s’intégrer dans une BD scénarisée.
Ci-dessous quelques exemple des planches :
Plus d'info sur la méthodologie, l'intégralité des planches etc,... : https://matheo.uliege.be/bitstream/2268.2/3104/3/Pierre%20Lacroix%20PAYSAGES%20RESILIENTS%202017.pdf
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Après l'Effondrement EP1 : Urbain ou Rural ?
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